Le 29 Mai, il doit essayer un nouvel avion : un De Marçay. Il est confiant dans cet appareil qui, pour reprendre la presse de l’époque, est nouveau dans sa conception mais très bien dessiné. Il décolle de Villacoublay et effectue quelques évolutions au dessus  de l’aérodrome à 200 mètres d’altitude puis s’éloigne vers l’est.   Un témoins, c’est justement un pilote, observe l’avion. " Deullin réduit les gaz. Tout d’un coup l’appareil se cabre légèrement… puis part en piqué. Deullin essaye désespérément de le redresser alors qu’il est sur le dos, mais c’est trop tard. " L’avion s’écrase en bordure du GC 60, sur la commune de Clamart, en face de ce qui est aujourd’hui l’intersection de la Route du Pavé Blanc et de la Rue du Capitaine Deullin. La Franco – Roumaine a perdu son chef pilote. Il avait 33 ans. Un monument a été erigé à sa mémoire à l'entrée de la base  aérienne de Villacoublay.  Témoignages et documents L'Aérophile - Juin 1923 Le capitaine Deullin  Le 28 mai, dans la soirée, Deullin procédait à Villacoublay aux essais d'un nouvel appareil de chasse de l'aviation militaire. Les  témoins virent l'avion piquer brusquement d'une faible hauteur et venir s'écraser sur le sol.  On ose à peine rappeler ; en quelques lignes la carrière si bien remplie de Deullin, qui fut un des " as " les plus glorieux de la  grande guerre. Né le 24 avril 1890 à Epernay, Deullin commença la campagne comme sous-lieutenant de cavalerie, et après un  stage de trois mois, fut breveté pilote le 14 juin 1915.  Affecté d'abord au bombardement, il le quitte bientôt pour la chasse, et fait partie de l'inoubliable escadrille des " Cigognes ".  Guynemer, Heurteaux, Dorme et tant d'autres, sont ses compagnons. Le 10 février 1916, il remporte sa première victoire  aérienne, et dès lors, le communiqué officiel cite ses exploits. Le 28 juillet 1917, au cours de son 17e combat, un monoplan  ennemi parvient à le surprendre, et il est grièvement blessé de deux balles dans les reins. A peine rétabli, il reprend  immédiatement sa place. L'armistice le trouve commandant d'une escadrille, officier de la Légion d'honneur, ayant totalisé 24  avions abattus. Mais Deullin n'est pas de ceux qui lâchent le manche à balai dès la fin des hostilités. Il entre à la Compagnie Franco-Roumaine,  où, comme chef-pilote, il réceptionne et met au point tous les appareils du service régulier. Deullin a également contribué à  former nombre de nos pilotes actuels d'avions de transport. Enfin, l'an dernier, il inaugurait, en compagnie de Marmier, la ligne  Paris-Bucarest-Constantinople, par un raid que nos lecteurs n'ont certainement pas oublié. Dans le monde de l'aéronautique, Deullin ne comptait que des amis. Ses obsèques ont été célébrées au Val-de-Grâce le 1er juin,  en présence d'une assistance considérable et profondément émue. Successivement, le général Duval, le capitaine Fonck, le  commandant Brocard, MM. Flandin, Dumesnil et Laurent-Eynac ont célébré celui qui sera unanimement regretté.  Devant la dépouille de Deullin nous évoquons malgré nous le destin tragique et semblable de Romanet et de Poirée, de tous  ceux que les dangers courus, la bravoure et l'expérience devraient rendre invulnérables, et qui, comme l'a dit le commandant  Brocard " meurent sur le champ d'aviation comme sur un champ de bataille, en vrais soldats ". Dans la paix comme dans la  guerre, ils auront été des héros. L'AIR N°27 - 15 Juin 1923 La mort du grand héros qu'était le capitaine Deullin vient de nous rappeler une fois de plus l'admiration que nous devons avoir  pour ces martyrs de l'aviation. La recherche du progrès les pousse à piloter des appareils nouveaux.   Sans même songer aux risques qu'ils courent, ils prennent place dans la nacelle : quelques instants après une rupture  quelconque ou une erreur de pilotage toujours possible sur un engin inconnu, et c'est la chute atroce, l'amas de débris sous  lequel gît, désarticulé, brisé, le champion célèbre ou obscur qui avait accepté la périlleuse mission de faire des essais.  Combien ont ainsi disparu, que ceux qui ont le culte du souvenir pleurent encore : Gilbert, Quennehen, de Romanet, Deullin.  La guerre semblait finie pour ces derniers. Ils pouvaient se reposer de leurs exploits. Non,  aussitôt, ils reprirent l'espace pour livrer combat à un nouvel ennemi, plus redoutable encore, plus  perfide, si possible : ils se lancèrent à la conquête de l'air. Ce sont les cobayes du sport. Ils forment la phalange des essayeurs. Sans eux, nous n'aurions  jamais enregistré les progrès qui font constamment l'admiration des connaisseurs.  Croyez-vous que ce soit par amour du danger, par recherche de sensations fortes que ces braves  ont côtoyé si souvent la mort, jusqu'à la rencontrer? Croyez-vous qu'un Sadi-Lecointe, en tâchant de dépasser le 400 à l'heure, le fasse par gloriole ou  par fantaisie ? Il en est, parmi les profanes, qui se l'imaginent. Quelle erreur! Les aviateurs, qui ont accepté la  noble mission de monter aux essais, le font parce qu'ils savent que de leur geste naîtra le  perfectionnement que seule la pratique révélera. Ils savent qu'avec un engin nouveau, il y a tout à redouter. Qu'importé, stoïquement, ils y prennent place et se confient à leur bonne étoile, trop  souvent défaillante. Il faut que le public comprenne que de tels accidents ne pourront jamais être supprimés. Autant vouloir interdire les catastrophes de chemins de fer !  Si l'on peut espérer, si l'on doit exiger une parfaite sécurité dans l'aviation commerciale, il n'en est  pas de même dans l'aviation scientifique, dans l'aviation d'essais.  Et ce n'est pas parce que des as comme Deullin, de Romanet ou Alcock se tuent qu'il faut accabler le plus lourd que l'air et le  déclarer meurtrier.  Les cobayes seront toujours ceux qui risquent leur existence et la perdent parfois pour le bienfait de l'humanité. Que celle-ci  n'oublie pas le sacrifice sublime de ces héros dont le souvenir lui échappe trop rapidement, hélas !  Extraits du Discours du Commandant Brocard, commandant des Cigognes, devant le cercueil d’A. Deullin le 29 mai 1923 . Le Capitaine DEULLIN, pilote de chasse, commandant d’escadrille de chasse, commandant de Groupe de combat, officier de la Légion d’Honneur et encore de 20 citations, vient de tomber pour la France. Je lui apporte aujourd’hui le salut de l’Aviation Militaire, des aviateurs d’observation et de reconnaissance qu’il a protégés, ceux de bombardement qu’il a accompagnés, ceux de la chasse qui ont été ses camarades de combat et ses élèves. Je lui apporte l’Adieu de tous ceux qui doivent leur vie à la protection de ses ailes tutélaires, ses ailes cependant toutes puissantes, mais qui aimaient défendre plus volontiers qu’attaquer, parce que défendre demande plus d’héroïsme, plus d’abnégation et de désintéressement, parce que défendre est le propre des preux et des chevaliers, tels que vingt siècles d’histoire nous ont appris à les aimer. Les observateurs en ballon isolés dans leur ballon captif désarmé, les passagers des avions d’infanterie de reconnaissance ou de photographies, perdus près des nuages hostiles, absorbés par une mission difficile, préoccupés du sol où était leur devoir, le vénéraient comme on vénère un génie protecteur parce qu’il savait abandonner l’attirance d’un combat facile pour venir à leur secours. ……… Je lui apporte plus douloureusement encore l’Adieu des Cigognes dont il est une des plus glorieuses, dont il est resté un des  rares survivants. Les Cigognes qui pleurent désespérément devant le corps de celui dont la flamme droite et lumineuse  éclairait la route du passé faite d’amitié et de deuils comme le chemin de l’avenir fait de solitude mais aussi de travail et  d’espérance. Nous, ses chefs, ses camarades, ses mécaniciens, l’avons aimé et respecté plus que nul autre, car il était déjà plus qu’un homme ; c’était une statue vivante du Devoir et de l’Honneur, c’était aussi le Génie aérien, prodigieux de courage et de dons naturels ; c’était l’effigie même de l’amitié, faite de cœur, d’affection et de dévouement. Plus encore, il avait des qualités suprêmes que la nature a donné en partage aux seuls êtres d’élite créateurs de légende ; je veux dire cette extrême distinction qui, jointe à la simplicité et à la modestie, formait un ensemble exceptionnel de vertus que peu de vivants sont admis à l’honneur d’en atteindre le niveau. © Patrick Deullin 2010